Les informations qui nous parviennent régulièrement sur l’énergie sont parsemées d’erreurs, volontaires ou non, mais le plus sont le fait d’incompétences de leurs auteurs.
Puissance et Energie…
Une des erreurs les plus courantes consiste à confondre des kilowatts (kW) avec des kilowattheures (kWh), des mégawatts (MW) avec des mégawatheures (MWh), ou encore des gigawatts (GW) avec des gigawattheures (GWh) ou de térawatt (TW) avec des térawattheures (TWh). Quelles que soient les unités, cela revient au même, puis que c’est la même erreur : il s’agit de la confusion entre une puissance et une énergie. Si votre fer à repasser est d’une puissance de 2 kW et que vous ne l’utilisez jamais, votre consommation d’énergie sera nulle (0 kWh). Si vous l’utilisez durant une heure, votre consommation sera de 2kWh.
Il en va de même pour un réacteur nucléaire d’une puissance de 900, 1300 ou 1450 MW. S’il ne fonctionne pas, la production d’électricité sera nulle. S’il fonctionne durant 6000 heures par an, c’est tout différent. Il suffira de multiplier sa puissance par le nombre d’heures de fonctionnement pour obtenir sa production d’énergie électrique.
Quand le vent est fort et constant comme en cette fin décembre 2022, l’éolienne de Chamole d’une puissance de 3 MW, peut atteindre son potentiel maximum de production d’électricité, soit 72 MWh en une journée (3 MW x 24 heures). En revanche, au début de ce même mois alors que la situation était anticyclonique, la production proche de zéro. L’un dans l’autre la production du mois de décembre aura été très bonne, faisant de 2022 une bonne année.
(presque) Tout le monde se prend les pieds dans le tapis…
On peut entendre la ministre en charge de la Transition Energétique comme la présidente de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) parler de GW (une puissance) au lieu de GWh (une production d’énergie) ou l’inverse. Ou tel ou tel journaliste parler d’une centrale nucléaire de 1300 kW, sans sourciller alors qu’il s’agit de 1300 MW en la circonstance. Pas sûr que Jurascic n’ait jamais fauté en ce domaine.
Décortiquons un cas d’école
Le 1er décembre, sur Europe 1, Éric Woerth, ancien ministre de l’Économie et des Finances, ex-président de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale déclarait : « La principale source d’énergie de la France ce sera et ça doit rester le nucléaire ».
Pourquoi c’est (doublement) faux
- En France, l’électricité représente 25% de notre consommation d’énergie. Le nucléaire représente 67% de notre production d’électricité. En conséquence, la part du nucléaire dans notre consommation d’énergie est de 17% (25% de 67%). C’est à dire que pour 83% (100 – 17), c’est autre chose que du nucléaire.
- En 2022 (estimations arrondies), les consommations d’énergie en France auront été les suivantes :
- Pétrole : 500 TWh (térawattheures, soit 1 milliard de kWh)
- Gaz : 400 TWh
- Renouvelables thermiques et électriques : 320 TWh
- Nucléaire : 280 TWh
Ce sont bien les énergies fossiles qui dominent avec 900 TWh (+ le charbon, marginal). Le nucléaire, c’est trois fois moins, dépassé par les renouvelables (thermiques et électriques).
Sans doute emporté par ses convictions, M. Woerth a dit le contraire de la réalité… Il n’est pas un néophyte, il ne répond pas à un micro-trottoir. Il passe même pour un spécialiste. Mais ce qu’il dit est factuellement inexact. Il n’est malheureusement pas une exception : il n’y a qu’une poignée de parlementaires qui est vraiment au fait de la question énergétique à la fois dans son ensemble ET dans ses détails. L’ignorance énergétique est très bien répartie parmi les groupes politiques.
Ce qui peut fonder ce type d’erreurs – volontaires ou non.
Comme chaque année, le ministère a publié en novembre les statistiques de l’année 2021. Quand on regarde le graphique ci-dessous, on aurait tendance à donner raison à M. Woerth : la part du nucléaire est de 40%, c’est donc la plus importante.
Cependant, il y a un petit détail : il s’agit d’énergie primaire.
Qu’est-ce que cela signifie ?
Lorsque l’on consomme de l’essence à la pompe, du gaz dans nos chaudières, des énergies renouvelables pour se chauffer ou pour s’approvisionner en électricité, 1 kWh produit = 1 kW consommé (hors pertes en réseaux). Energie primaire = énergie finale.
Lorsque l’on consomme de l’électricité d’origine thermique, qu’il s’agisse de charbon (très marginal) ou de nucléaire (très dominant), il a fallu passer par le processus suivant : faire chauffer de l’eau, la transformer en vapeur, entrainer des turbines qui vont générer de l’électricité. Or, le rendement d’une telle transformation est d’environ 1/3 (33%) selon le Principe de Carnot. En d’autres termes, pour obtenir 1 kWh d’électricité (finale), il faut 3 kWh d’énergie (primaire). Il y a donc 2/3 d’énergie perdue sous forme de chaleur, généralement rejetée dans l’eau et l’atmosphère. D’ailleurs à quoi reconnaît-on une centrale thermique (nucléaire ou charbon), sinon à sa tour de refroidissement qui a pour mission de dissiper la chaleur ?
Qu’est-ce que ça change ?
Ce que cela change surtout, c’est un effet d’optique : cela grossit énormément les parts d’électricité d’origine thermique , dont essentiellement en France d’origine nucléaire, car ce qui est compté dans la statistique est trois fois plus important que la production d’électricité dont nous avons effectivement besoin.
Imaginez le graphique ci-dessus en divisant pas 3 la part nucléaire et charbonnière. Ça changerait tout ! Ce graphique n’est pas factuellement inexact, mais il peut induire en erreur le lecteur non averti.
C’est sur la base de tels graphiques que l’indépendance énergétique de la France est affichée à 52% alors que l’on importe en totalité le pétrole, le gaz, le charbon et l’uranium dont nous avons besoin, soit 81% de nos besoins. Les renouvelables qui sont les seules ressources nationales représentent 19%. Logiquement le taux d’indépendance énergétique devrait dont être de 19%. Mais pour obtenir ces fameux 52%, les statistiques parlent d’énergie « produite » en France, ce qui permet d’inclure la totalité du nucléaire comme une énergie nationale, car on produit l’électricité sur notre sol, mais à partir de matière première importée.
Morale de l’histoire
Quels que soient les avis des uns et des autres vis-à-vis de notre avenir énergétique, il est important que les citoyens et les décideurs disposent de bases factuelles, compréhensibles et partagées, afin de permettre des débats sereins et des décisions fondées sur autre chose que des intuitions.
Gérard MAGNIN, 30 décembre 2022