Petite histoire des origines du solaire photovoltaïque en Franche-Comté.

publiée le 03 novembre 2022

Contribution de notre coopérateur Gérard Magnin.

Le nombre d’installations solaires photovoltaïques explose partout dans le monde, et à un rythme généralement bien plus élevé que dans notre pays. Depuis l’installation de deux panneaux sur sa toiture en autoconsommation (Solarcoop), jusqu’à des installations de plusieurs dizaines de kilomètres carrés en Chine, toute la gamme existe désormais. Plus personne ne se demande si ça fonctionne. Cela n’a pas toujours été le cas.

Cette « petite histoire » n’a aucune prétention exhaustive. Elle est une mise en perspective du solaire photovoltaïque, réalisée à partir de souvenirs personnels.

C’était le 4 février 1987. Il faisait très beau sur les hauteurs de Chapelle des Bois, dans le Haut-Doubs. Le soleil avait voulu fêter l’événement. Plusieurs dizaines de personnes avaient chaussé les skis pour rejoindre Chalet Gaillard, un gite isolé de ce massif du Jura. Une luge emportait le matériel de la télévision régionale. L’Est Républicain avait dépêché un reporter bien connu. En quel honneur ? Chalet Gaillard était le premier site isolé de la région Franche-Comté équipé de panneaux solaires photovoltaïques d’une puissance totale de 400 Wc, soit 8 panneaux de 50 Wc.

Quelle expédition ! Rougis par le soleil, les participants partagèrent  un pique-nique sur place après avoir, en compagnie des propriétaires, fait le tour du gîte, des batteries et de l’installation qui, outre l’éclairage, alimentait un frigo. Le tout présenté à la presse. L’événement avait été organisé par la délégation régionale de l’Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie (AFME), devenue plus tard l’ADEME, dont j’étais à l’époque le responsable. L’installation avait été réalisée par Jean-Pierre Bresson, le pionnier du solaire thermique et photovoltaïque dans le Jura et la région. Ingénieur audacieux et motivé, il avait pris le risque de quitter Alsthom quelques années auparavant afin de créer une petite société, Jura Energie Solaire, toujours existante aujourd’hui. Il était également administrateur de l’AJENA aux côtés de son fondateur, Michel Moreau de Champagnole. Ces deux-là étaient naturellement présents pour célébrer une réalisation dont on parlera longtemps.

Alors qu’aujourd’hui des installations photovoltaïques s’étendent sur plusieurs dizaines d’hectares dans notre région et des centaines voire des milliers dans les pays plus ensoleillés et disposant de grands espaces, ce retour 35 ans en arrière a quelque chose d’insolite.

C’est pourquoi il est intéressant de se remémorer la situation à l’époque.

L’électricité solaire sortait tout juste de l’industrie spatiale qui avait été précurseur dans le domaine. On imagine donc à quel prix un produit issu de l’industrie spatiale se situait, en fait environ 100 fois le prix d’aujourd’hui. Peu nombreux étaient ceux qui imaginaient à l’époque le développement du solaire que nous connaissons aujourd’hui. Personne n’aurait parié sur une chute des prix aussi drastique qui a fait passer le photovoltaïque de l’énergie la plus chère (et de loin) dans les années 80 à l’énergie la moins chère aujourd’hui. Les anticipations les plus optimistes ont toutes été très largement dépassées, y compris naturellement celles des militants les plus acharnés. Durant la décennie 80, il se construisait en France 3 à 5 réacteurs nucléaires par an. Il fallait être un peu fou pour croire à un avenir solaire à grande échelle, en particulier en France.

Alors, la cible principale était les sites isolés, non raccordés au réseau de distribution, afin d’apporter une commodité qu’aucune autre solution ne pouvait permettre : gites de montagne, bâtiments de ferme d’alpage, rares résidences, tel était le « marché » que l’AFME encourageait, parfois avec la Région. L’idée germa de faire entrer ces installations dans le périmètre de la concession de distribution d’électricité (actuellement géré par ENEDIS, mais autrefois par EDF, les réseaux appartenant aux communes) afin qu’un principe d’égalité des consommateurs soient respecté, que ceux-ci soient ou non raccordés au réseau. Ceci fut fait ultérieurement. Comme les techniciens d’EDF ne disposaient d’aucune compétence dans le solaire, c’est Jean-Pierre Bresson qui assura leur formation, puis réalisa pour leur compte l’entretien des installations. Une fourmi d’un côté, un mammouth de l’autre…

On aurait tort de croire que l’électrification photovoltaïque des sites à l’écart des réseaux était une évidence qui allait de soi. Voici deux exemples qui montent le contraire.

L’administration de l’environnement (maintenant DREAL, autrefois DRAE) était hostile car, selon elle, l’électrification conduirait à des activités humaines qui dérangeraient la faune locale… Je me souviens d’un vote défavorable au Comité des Aides que je présidais, sous ce motif. J’avais fait remarquer, pas très gentiment, que cette opposition était à la mesure des capacités de cette Administration, celle-ci étant incapable de s’opposer à des raccordements de sites équipables de panneaux solaires aux réseaux, lesquels nécessitaient pourtant des saignées dans les forêts et des poteaux dans les pâturages. Une remarque pas forcément bien appréciée.

Un autre exemple venait illustrer le propos. Il était question d’amener l’électricité pour alimenter le relais de télévision de Morbier, dans le Jura. Un type d’installation qui est très peu consommateur et nécessite donc une faible puissance. Un raccordement filaire était prévu avec la création d’une ligne électrique uniquement dédiée à cet objet. « Nous » avons alors investigué une solution alternative avec une installation photovoltaïque. « Nous » avons recherché et obtenu des financements européens, ce qui permettait un coût final plus faible que le devis de raccordement. Las, d’un commun accord, EDF et le SIDEC (Syndicat d’énergie du Jura qui réunit les communes de ce département et agit pour le compte de celles-ci vis-à-vis du concessionnaire obligé) s’y opposèrent et comme par hasard le devis de raccordement fut divisé par deux. La saignée dans la forêt eu lieu. Et nous durent refuser la subvention européenne.

Il faut bien comprendre qu’il y avait une opposition idéologique qui n’est pas sans rappeler celle vis-à-vis de l’éolien actuellement : il fallait éviter que des alternatives, si microscopiques soient-elles, démontrent d’autres solutions que LA solution portée par EDF. D’ailleurs, à cette époque, le SIDEC qui réalisait, outre sa fonction de concédant du réseau de distribution d’électricité, de la maîtrise d’ouvrage déléguée et de la maîtrise d’œuvre pour les communes, était dans le Jura le principal vecteur du tout électrique pour le chauffage par convecteurs, les fameux « grille-pains », poussés par EDF. Les deux faisaient la paire !

D’autres applications furent promues. Je me souviens de l’initiative de mon collègue Simon-Pierre Mosse de l’AFME qui s’était associé l’expertise de Gérard Moine venu de Lyon, auprès de la société Schlumberger (aujourd’hui Flow Bird) afin d’expliquer le principe photovoltaïque qui pourrait permettre d’éviter aux horodateurs – dont l’entreprise est un champion mondial – un raccordement aux réseaux toujours très onéreux en milieu urbain. Idem pour des signalisations de sortie d’école, avec du matériel pas toujours éprouvé d’ailleurs, et une série de petits « joujous » de ce type, tels que des compétitions de voitures solaires, à laquelle un autre collègue, Michel Cairey-Remonnay s’adonnait une fois l’an.

L’aventure photovoltaïque de la fin du siècle dernier se poursuivit à petits pas.

Après les sites isolés, dont un assez grand nombre furent équipés, vint le tour de la production individuelle de sites raccordés au réseau. Il n’existait aucun cadre légal pour cela : les directives européennes relatives à l’électricité n’étaient pas nées et l’accès au réseau de « tiers » (entendons par là « non EDF ») n’était pas prévu, donc pas encouragé. C’est même un euphémisme que de le dire.

Une association (dénommées maintenant Hespul, autrefois Phébus – le dieu soleil en grec) de la région rhônalpine voisine, née au tout début des années 90, avait bénéficié d’un soutien européen pour équiper quelques dizaines de toitures de panneaux solaires dans des habitations raccordées au réseau. Les propriétaires finançaient la partie non-subventionnée, ce qui était une somme conséquente. Un système équivalent se mettait en place dans le Canton de Genève voisin. Comment était-ce possible alors qu’il n’existait aucune réglementation pour l’accès au réseau ? C’était très simple. Pas de déclaration. Le compteur électrique tournait dans les deux sens. La production injectée sur le réseau était déduite de la consommation et la facture EDF s’exerçait sur le solde. Inutile de préciser que ni EDF ni l’administration ne voyaient cela d’un bon œil… Mais il n’y aura jamais d’interdiction. Ainsi vont les mouvements de l’histoire : le vieux se fait percuter par le neuf, ce qui l’oblige à s’adapter… au bout d’un certain temps.

Intéressés par cette expérience, nous étions néanmoins conscients qu’il faudrait trouver des solutions plus légales. Un autre projet fut présenté à un soutien financier européen portant sur 6 installations de 2,5 kWc : 3 en Rhône-Alpes, 3 en Franche-Comté : chez Benoit Legeard à Besançon, Clément Kimmel à Mouchard (39) et Jean-Pierre Bresson dans son atelier à Colonne (39). Ce dossier avait été notamment monté par Gérard Moine (un des fondateurs de la nouvelle coopérative SolarCoop), avec la société Total Energie. Rien à voir avec le nouveau nom récemment donné à Total. C’était une petite boite au nord de Lyon qui avait été achetée par Total qui lui laissait une complète liberté de gestion. Total l’aidait en matière logistique, par exemple au travers de mise à disposition de locaux pour leurs activités d’ensemblier dans les DOM-TOM. La subvention européenne était complétée par l’AFME et la Région qui avait rechigné dans un premier temps du fait du nom de Total.

Maintenant que le dossier devenait « légal », il fallait trouver les règles qui permettaient de réaliser effectivement les installations, toujours en l’absence de règlement européen.

C’est alors qu’un groupe de travail réunit l’administration du ministère en charge de l’énergie (le ministère de l’industrie), EDF et des experts du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA, devenu aujourd’hui Commissariat à l’Energie Atomique et aux Énergies Alternatives). Là on a tout entendu : la sécurité des personnels EDF allait être mise en péril, le réseau n’allait pas supporter, etc., bref toute une série d’objections visant à démontrer que ce n’était pas possible. Cependant un accord a fini par être trouvé. Au terme de celui-ci, le producteur indépendant devait disposer de deux compteurs : l’un pour le soutirage, l’autre pour l’injection. Et contrairement à ce qu’il se produisit par la suite avec des tarifs d’achats d’électricité solaire à un niveau plus élevé que celui du marché, voici ce qu’il en résultat : de mémoire, le prix de vente au réseau était de 22 centimes de francs (pris supposés de la production nucléaire marginale) et le prix de vente au consommateur était de 66 centimes (le tarif en vigueur) soit 3 fois plus cher. Il fallait naturellement payer le compteur additionnel. Hormis l’une des installations qui a brulé dans un incendie dû à une autre cause, les deux autres fonctionnent toujours aujourd’hui.

L’Administration n’accepta pas de baisser les bras. Dans une circulaire, elle interdit explicitement toute subvention d’un organisme national à une nouvelle installation de ce jour. Le service ministériel en charge de ce sujet était le Service des Énergies Renouvelables et de l’Utilisation Rationnelle de l’Energie, son acronyme étant le SERURE, bien nommé lorsqu’il s’agit de fermer la porte à toutes les solutions nouvelles.

C’est une véritable haine que l’Administration vouait aux énergies renouvelables. Quelques années plus tard, alors que Dunkerque s’apprêtait à installer une éolienne (que l’on appela alors L’éolienne de Dunkerque car il n’y en aura qu’une seule en France durant plusieurs années), le même scénario se reproduisit. Une subvention européenne fut attribuée, mais lors de la décision prise à Bruxelles, alors soumise à l’approbation des représentants des 12 États-Membres, seul l’un d’entre eux vota contre : la France.

Il a fallu les directives européennes qui obligèrent les États-Membres à permettre l’accès des tiers aux réseaux et d’éviter toute discrimination, que la situation évolua progressivement. Mais là encore, de nouveaux obstacles furent mis en place : chaque nouveau propriétaire d’une installation, même de quelques centaines de watts-crête, avait son nom publié au Journal Officiel de la République Française, car il devenait un producteur ; EDF exerça une aptitude à la lenteur inégalée dans le raccordement au réseau, celui-ci pouvant attendre deux ans et plus ; une assurance était demandée afin de couvrir les risques susceptibles d’être engendrés sur le réseau, sans que soit connue la nature et l’étendue de ces risques, ce qui compromettait évidemment la possibilité de souscrire ladite assurance et donc l’autorisation de raccordement.

Quand un agent de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), organisme dont une des fonctions est de permettre un accès non-discriminatoire aux réseaux, réalisa une enquête, en liaison avec une organisation de consommateurs (CLCV), puis commis un rapport sur les problèmes rencontrés, ses supérieurs lui firent vite comprendre que ce n’était pas un sujet digne d’intérêt.

J’ai pu constater bien après en tant qu’administrateur d’EDF, au milieu des années 2010, que cette aversion pour les énergies renouvelables perdurait dans l’élite énergétique de notre pays. D’ailleurs le terme utilisé pour les nommer était « énergies intermittentes subventionnées ». Tout un programme.

L’auteur

Gérard Magnin a été délégué régional Franche-Comté de l’ADEME (ex-AFME) de 1985 à 1995. En 1990, il fonde Energy Cities, le réseau européen de Villes pour la transition énergétique. Il y consacrera l’essentiel de sa vie professionnelle, jusqu’à sa retraite en 2014. Il sera durant près de deux années, administrateur d’EDF, poste dont il démissionnera en 2016. Il sera membre du Comité Économique social de Bourgogne-Franche-Comté (CESER) de 2013 à 2017. Il présidera de 2016 à 2021 la coopérative Jurascic-Energies Renouvelables Citoyennes.